A l’appel de l’AMT, plusieurs magistrats, toutes catégories confondues, en grève mercredi et jeudi, et avocats ont tenu hier un sit-in de protestation devant le Tribunal de première instance à Bab Bnat. Des slogans contre la dissolution par le Président Kaïs Saïed du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) y ont été scandés.
Le sit-in devait avoir lieu devant le siège du Conseil supérieur de la magistrature, mais depuis l’appel de la mobilisation lancé lundi par l’AMT, un autre évènement a eu lieu : l’organisation mercredi de la conférence de presse du Collectif de défense de Belaïd et Brahmi. De graves accusations contre le président du CSM, Youssef Bouzakher, quant à sa mauvaise gouvernance du Conseil et son implication dans la dissimulation des preuves dans les affaires des assassinats politiques ont été révélées aux médias au cours de cette rencontre. Le collectif avait invité à la fin de la conférence tous ceux qui le soutiennent à un sit-in hier matin devant le CSM. L’AMT a alors préféré changer le lieu de sa protestation afin d’éviter toute confrontation directe avec un front, qui réunit lui aussi de nombreux avocats soutenus par le bâtonnier Brahim Bouderbala.
« Dissolution. Graves atteintes aux droits de l’homme », « Le CSM garant de l’indépendance de la justice », « Rouvrir le CSM »… Voilà quelques-unes des inscriptions, qui sonnent comme des injonctions affichées sur les pancartes et banderoles levées haut les bras par les magistrats judiciaires, administratifs et financiers.
Devant le Tribunal de première instance à Bab Bnat, des personnalités associatives et politiques ont pris part au rassemblement, ainsi que des militants du mouvement Ennahdha, des membres du collectifs Citoyens contre le coup d’Etat, des activistes politiques proches de l’ex-président Marzouki et d’autres sensibilités proches des milieux des droits humains.
« Plus de retour vers la justice du déchu »
En première ligne de la chaine de magistrats protestataires se trouvent les militants les plus féroces de l’AMT, Raoudha Karafi, Anas Hmaidi, Ahmed Rahmouni, Aicha Belhassan…Ce sont eux qui donnent le là des slogans, réclamant tous la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
« Plus jamais une justice instrumentalisée », « Plus de retour vers la justice du déchu », « Le peuple veut une justice indépendante », « Libertés, libertés, fini l’Etat policier », « Honte à vous, la justice est assiégée », crient tous ceux qui sont venus apporter leur appui aux robes noires en colère.
Rappelons que la mobilisation des juges vient à la suite de l’annonce du Président de la République samedi soir, depuis le ministère de l’Intérieur, de sa décision de mettre fin au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, affirmant qu’un décret à cet effet sera pris sous peu.
L’Association des magistrats tunisiens (AMT) a rejeté le choix du Chef de l’Etat et appelé toutes les structures judiciaires à suspendre les travaux des tribunaux, mercredi et jeudi, pour protester contre ce qu’elle considère comme « une violation de l’autorité judiciaire ».
Bataille autour de l’indépendance de la justice
«Nous sommes avec la réforme du secteur judiciaire et avons été les premiers à appeler à une telle perspective. Mais nous soutenons une action qui renforce le pouvoir judiciaire et garantisse les droits et libertés sans discrimination et sans ordres imposés par le haut. Or, ce que vient de décréter le Président n’a rien de rassurant, ni ne peut nous faire avancer. Nous voulons adresser un message au palais de Carthage : nous invitons le Président avec tout le respect que nous lui devons à répondre au rendez-vous de l’histoire et à revenir sur sa décision de samedi dernier », clame Anas Hmaidi, président de l’AMT.
Le juge Hmaidi a également invité la ministre de la Justice, Leyla Jaffal, elle-même magistrate, à jouer un rôle positif dans cette crise : « Nous avons plusieurs propositions constructives visant à réformer le secteur de la justice. L’échange entre la ministre et nous est toujours possible. Ne nous laissez pas recourir à une escalade de la crise. Nous résisterons jusqu’au bout ! ».
L’AMT compte tenir une réunion samedi 12 février pour débattre de la situation de la justice tunisienne et des moyens de faire face aux décisions du Président de la République.
De son côté, le Comité de défense de Belaïd et Brahmi tiendra aujourd’hui un rassemblement devant la Cour d’appel de Tunis et demain, samedi, devant le domicile de Rached Ghannouchi.
Jamais encore avocats et magistrats n’ont été autant divisés autour d’un même principe : l’indépendance de la justice.
crédit Photo : © Salma Guizani